great unknown

Lundi 3 novembre 2014
C’est encore un de ces pays aux anachronismes prégnants. Dans un hall nous rappelant nos plus vieilles salles de gare, des femmes en uniforme impeccable, au maquillage aussi précis que la technique utilisée pour détecter le semblable entre notre œil et la photo de notre œil, nous repassons les contrôles de sécurité.
Et puis le valet de taxi dans son costume flambant neuf, au service parfait, nous fait monter dans un taxi vieux d’avant-révolution. Laquelle ?
Il y en a par centaines, des voitures américaines anciennes, classées au patrimoine de Cuba : on ne les vend plus, on ne les achète plus. Et on ne les répare plus, faute de pièces de rechange.
Le chauffeur de taxi – assez âgé – est comme nous nous imaginions les Cubains.
Sur la route de l’hôtel – Musique à fond, fenêtres ouvertes, cheveux au vent, inhalant l’odeur de l’essence locale, pure (càd non raffinée) – nos premiers contacts avec ce pays que depuis toujours nous voulions visiter.
Mardi 4 novembre 2014
Fatigués par un voyage assez long, nous nous installons dans ce Plaza qui sera notre havre de paix pour les prochains jours…
Mercredi 5 novembre 2014
Novembre, mois idéal pour visiter Cuba : le climat est meilleur, après la saison des pluies, avant les grandes chaleurs. Mais ce n’est pas encore la haute-saison nous dit-on… Pourtant, où que notre regard se pose, des touristes. Mais, apparemment, pas assez, car de toute part nous sommes assaillis : taxis – américain ou pousse-pousse ou encore coco taxi, cigares, visites touristiques… Un seul geste, ferme et décidé, de la main : ils comprennent, n’insistent pas. Sauf certains que rien n’arrête.
A première vue, mœurs particulières, us et coutumes plutôt légers et libres. Enfants en uniforme, très disciplinés. Contraste et reliques d’un passé communiste omniprésent. A première vue, toujours, l’ouverture sur l’Occident ne se fait pas encore réellement. Se fera-t-elle ? Serons-nous témoins de cette métamorphose ? Nous voulions visiter le pays avant la chute des Castro. Leur chute est-elle probable, prévisible ? Est-elle inéluctable ? Fait-elle peur aux Cubains ? Sont-ils, sous leur apparence tranquille et résignée, inquiets ? Ou fébriles. Désirent-ils cette métamorphose ? Pensent-ils que ces changements importants auront lieu ou ne peuvent-ils pas se l’imaginer ? Ces problèmes d’avenir les touchent-ils vraiment, eux qui semblent vivre au jour le jour ?
L’ancien...
On détruit le vieux pour y mettre du neuf. On se lasse du neuf que l’on donne pour remettre de l’ancien. Cela se passe aussi à Cuba.
Jeudi 6 novembre 2014
Banques: pas de connexion, pas d'argent. Retrait impossible, je n'ai pas mon code... Pas de voiture pour quitter La Havane. Personne ne nous dit ce qu'il en est vraiment. Pour deux amoureux de la vérité, c'est difficile. Tous sont au courant de nos allées et venues. Partir sans agence, on nous disait que c'était possible. Mais... aurions-nous dû louer une voiture à Munich? Non. Les deux jeunes personnes rencontrées ce matin n'ont pas reçu celle qui leur était réservée. En fait, ils n'ont pas reçu de voiture du tout!!
F. va de la banque au bureau de location de voitures, le premier, le deuxième. Il repart à la banque. Fait du repérage pour que je n'aie qu'à me rendre à un endroit. Je l'accompagne à la banque. L'argent ne peut pas être retiré, la connexion ne fonctionne pas. Nous mangeons à l'hôtel "d'en face". Le genre d'hôtel que nous n'aimons pas mais qui nous reçoit élégamment. Le temps d'un lunch nous oublions nos soucis. Ce soir nos options presque épuisées, nous nous demandons comment faire. Payer le prix fort est la seule option.
F. garde espoir, reste patient. Comment fait-il?
Nous ne pouvons pas juger les cubains. Castro - bel avocat au charisme (indéniable?) a fait la révolution, a tout donné à son peuple: éducation etc. grâce aux deniers des autres. Homme de paille d'un régime à détruire? Il n'a rien fait lui-même, sauf quelque jours, quelques mois, de guérilla. Il s'est ensuite imposé, a accueilli le pouvoir, mais lequel? Il n'en avait / a aucun réel. Une fois les deniers des autres inexistants, il n'a pas pu continuer à aider son peuple.
Rencontré un couple de Canadiens. Ils sont venus ici il y a 35 ans, pour leur voyage de noces. Ils nous ont dit "c'est un dépaysement total, c'est bien pire qu'avant". On se sent en sécurité car on est observé.
La Havane vit la nuit - - les travaux de rénovation s'y font à ce moment-là.
La Havane est un musée automobile à ciel ouvert.
Samedi 8 novembre 2014
Vendredi matin nous appelons AF et Ph. Western Union ne travaille pas avec Cuba. A l'agence Assistur, on nous dit que l'argent n'arrivera que vendredi ou jeudi. Nous voilà bien coincés. A pied, sous un soleil de plomb, entre ou à travers les flaques de boue, les reliques de la veille ou bien plus vieilles encore, les laissé-pour-compte de chiens, dans des rues qui furent jadis la splendeur de La Havane, nous nous frayons un chemin jusqu'à Fécinmax, un institut qui peut vérifier si tout fonctionne normalement. La peur au ventre, les pieds douloureux, nous marchons au rythme de notre espoir. Quartiers non fréquentés par des touristes, les indigènes nous regardent incrédules. Nous ne pouvons qu'imaginer quel fut ce quartier tellement il est décrépi. Mais les gens y vivent. Heureux? Nous ne le saurons jamais. Plus de 3 km plus tard, quelques minutes d'attente et nous sommes reçus par la troisième personne cubaine nous paraissant honnête. Toute notre vie de la veille est là, sur l'écran. Nos tentatives de retirer de l'argent, de payer... Nous ne sommes pas étonnés, nous nous savions observés. Mais à ce point? Oui et bien plus encore!
Il est 11h15 quand nous sortons de la banque qui nous a donné le montant journalier autorisé...
Nous rentrons à l'hôtel. Il est 11h40. 20 min. pour quitter ce haut-lieu géré par des voyous. Petite vengeance à la sortie: nous exigeons toute la monnaie et tous les reçus et autres documents que nous jetterons un instant plus tard. Cela ne semble rien, mais ici, dans le pays du moindre effort et pourboires mirobolants...
Aujourd'hui, samedi, nous sommes à l'hôtel "d'en face". Nous profitons... le stress nous a épuisés. Nous/je - ne voyions/ais - plus que nos options disparaitre dans un halo de fumée de Havane. Car pour sortir du pays il faut nous acquitter d'une taxe: 50 USD/CUC pour deux. Comment? L'argent qu'il nous restait était pour le taxi. L'ambassade de Belgique - appelée depuis l'agence Assistur - ne peut aider que... Je ne sais pas en fait. L'employée zélée, sans doute trop longtemps ici pour s'inquiéter pour si peu, nous disait de faire les démarches que nous avions déjà entreprises. Les "machines à sous" - expression bien révélatrice d'un temps passé à jouer - ne fonctionnant pas...
Depuis la terrasse du 9e, piscine, bar, etc., nous admirons les appartements super deluxe. Vous les reconnaîtrez sur les photos. Nous en rions et rions encore. Mais nous nous demandons qui a payé les auteurs de notre guide. Tout y est écrit, mais c'est un euphémisme en comparaison avec notre expérience. L'hôtel est bien mais rien n’y est cubain... dommage. Demain nous quitterons La Havane. Sans regret? On le saura arrivés à Trinidad. Vue imprenable donc. Mais que reste-t-il de Cuba? Gloire et décadence.
Dimanche 9 novembre 2014
Allons-nous finalement pouvoir quitter La Havane pour Trinidad? Nous croisons beaucoup de couples "déséquilibrés": lui blanc, âgé d'environ 60 ans, elle Cubaine ou non, âgée d'une vingtaine d'années. Nous savons qu'ils sont mariés car ils portent une alliance, elles ne le sont pas. Savent-elles ce qu'elles font? vraiment? Nous voyons aussi l'inverse: des femmes de 50 ans, blanches avec des Cubains de 20 ans. Aucun, aucune autochtone n'a l'air d'y prendre garde, de s'en offusquer. Cela me/nous choque pourtant.
Sur le Prado, des familles entières se rassemblent. Elles fuient une habitation minuscule, ou l'air n'a pas sa place. Elles "sont" là et discutent ou jouent aux échecs. En journée, les enfants y pratiquent leur heure de sport ou y passent leur récréation car l'école n'a pas de cour.
La Havane ne nous laissera bien entendu ni indifférents ni inchangés. Mais elle est devenue très, trop touristique pour nous. Ce ne sont pas les touristes qui le désirent et nous "dérangent", mais bien tous ces attrape-touristes. Elle fut peut-être belle. Mais nous ne pensons pas qu'elle le fut autant que d'aucuns le prétendent. La Havane est un musée automobile en plein air, un chantier permanent: on rénove à l'envi, même la nuit. La vieille ville est désertée des touristes le soir. Seuls des lieux cultes comme la Place des Armes vit encore au rythme touristique. Ambos Mundos ne nous dit rien. C'est (ce fut?) pourtant un des lieux de Cuba.
F. est en route: il se renseigne sur la possibilité que nous avons (ou non) de quitter La Havane. Je l'espère. Nous l'espérons.
Scène de vie - Nous sommes installés à la terrasse du Café ETL. Je me dirige vers les plantes donnant sur le trottoir pour y jeter mes glaçons. Une sœur, un frère demandent de la monnaie. C'est notre première confrontation avec la mendicité (directe) ici à Cuba. Je refuse. Ils demandent les glaçons. Je refuse. Mon raisonnement est impeccable: je peux leur offrir un coca, mais je ne peux leur donner des glaçons que j'ai retirés manuellement d'un verre (auquel j'ai déjà bu). Ils se précipitent sur la plante et essaient de les récupérer. Elle les rejette en colère car ils sont couverts de sable. Elle continue à mendier. Elle part, son frère la suit. J'y pense encore et me demande: ai-je bien fait, mon raisonnement était-il si parfait? Lorsqu'ils repassent, ils semblent avoir oublié, moi pas. Les enfants sont résilients. Pourquoi ne le sommes-nous pas plus?
Lundi 10 novembre 2014
Retour en arrière
Ces couples que nous regardons de manière incrédule et que nous nous sommes permis de juger ne sont peut-être que la conséquence naturelle de ce qui se cristallise de plus en plus à Cuba. Un système communiste, totalitaire qui ne fonctionne pas, en train de s'effriter. Alors puisque l'Etat ne peut rien quant à leur survie et leur désespoir transpirant, hommes et femmes cherchent eux-mêmes des solutions. D'un état d'assistés, ils passent à un état d'acteurs.
Cuba est le symbole d'un système égalitaire utopiste.
La Havane est un non man's land entre communisme et capitalisme. Nous sommes face à une société binaire: ceux qui mendient de l'autre côté du muret, ceux qui boivent de notre côté.
Réflexions à voix haute:
Donner l'éducation sans la liberté, cela fait-il sens? Pour qui? Les humains peuvent-ils devenir libres et égaux? - Que ferions-nous sans Skype? - Un pilote d'avion peut-il avoir une vie privée? - Sourire est-il toujours possible? - Peut-on être communiste en possédant une Porsche?
Mercredi 12 novembre 2014
Nous sommes partis lundi de La Havane. Varadero. Si vous qui nous lisez êtes venus à Cuba où si vous connaissez quelque peu l'île, vous le savez: piège à touristes. "All In 5 étoiles". Plus de 100 chambres. Un village, plus grand que Perchting. Plage à deux pas de notre bungalow. Mais... Tout inclus veut dire aussi dîner. Sauf que le dîner fut immangeable. Nagé, lu, regardé des documentaires, dormi, renagé... Nous nous sommes littéralement enfouis de ce lieu hier car finalement une voiture s'est libérée lundi soir.
Récompense lundi: la mer. Sans doute la seule plage d'où nous pourrons nous baigner. Nous avons été témoins d'un mariage sur la plage, nous ignorons toujours qui est le marié....
Mer. Vagues. Turquoise. Vide.
Sur la route hier.
Ah "Sur la Route" de Kerouac. Lecture inachevée. Je devrais le reprendre et le terminer. Les images de notre route se poseront alors peut-être sur ce récit.
F. pratique son espagnol. F. parle "Belge" aussi. Ca me plaît. Je lui demande "comment dit-on "santé": salud ou saluda?", il me répond "Prost".
Survivance.
Il dit "Je coupe".
